http://www.premier-ministre.gouv.fr/PM/D190199.HTM Discours et interventions Conférence de presse de Monsieur Lionel JOSPIN, Premier ministre, à l'issue du Comité interministériel pour la société de l'information Hôtel de Matignon Mardi 19 janvier 1999 Avec les membres du Gouvernement, nous venons de tenir un comité interministériel pour la société de l'information. - Aujourd'hui, nous avons fait le point sur l'état d'avancement de la société de l'information en France et un bilan d'étape de la mise en oeuvre du programme d'action gouvernemental que j'avais rendu public en janvier 1998. - Nous avons d'autre part pris une série de décisions importantes pour la seconde étape de ce programme d'action qui couvrira la période 1999-2000. A - Je n'entrerai pas dans les détails de ce bilan, dont tous les éléments vous sont remis et seront disponibles sur Internet dès l'issue de cette conférence de presse. Quels rappels succints cependant sur ce bilan d'étape me semblent utiles : 1. En un peu plus d'un an, le mouvement lancé à Hourtin le 25 août 1997 en faveur de la société de l'information a pris forme. La presse, généraliste comme spécialisée, s'en est d'ailleurs largement fait l'écho et a contribué ainsi à ce débat public que j'avais appelé de mes voeux à Hourtin. La France comble progressivement son retard par rapport à ses principaux partenaires, en particulier dans les secteurs de l'éducation et de l'innovation. Je prendrai quelques exemples. Dans l'éducation, le taux de raccordement des lycées et des collèges à l'internet a plus que doublé en un an. Pour les collèges, par exemple, il était de 20% en décembre 1997, il est passé à près de 70% aujourd'hui. Le nombre des internautes français a cru de 163 % en un an et 6 millions de français ont utilisé l'internet au moins une fois dans les six derniers mois. La forte mobilisation des professionnels, soutenus par l'engagement public, a permis de réunir les conditions pour un décollage des acteurs français du commerce électronique sur l'internet. La priorité donnée à la politique en faveur de l'innovation a bénéficié notamment aux secteurs des technologies de l'information. Ainsi, les différentes mesures prises par le Gouvernement permettront que le montant d'investissement en capital-risque dans notre pays atteigne 3 milliards de francs par an, soit dix fois plus qu'il y a quatre ans. L'engagement déterminé du Gouvernement a facilité la prise de conscience et la mobilisation des différents acteurs ; sa politique accompagne et encourage ce développement. La contribution de plus en plus forte des industries et des services de la société de l'information à la croissance et à l'emploi, en particulier pour les jeunes, souligne l'importance de ce choix politique. (la moyenne d'âge, dans les nouvelles entreprises françaises du multimédia, est souvent inférieure à 25 ans) Rapportés à certains de nos voisins, des chiffres, comme le pourcentage d'utilisateurs de l'internet, montrent cependant que des retards demeurent : les deux années à venir doivent donc se traduire par un renforcement de nos efforts. 2. L'état d'avancement du programme d'action gouvernemental souligne l'importance des efforts engagés. La quasi-totalité des 218 mesures décidées il y a un an ont été mises en oeuvre. L'effort financier consenti par l'État pour ce programme représente 5,7 milliards de francs, dont 2,1 milliards en 1998 et 3,6 milliards en 1999. Chaque ministère a élaboré son programme d'action, qui assure dans son secteur la mise en oeuvre du programme gouvernemental et trace des perspectives nouvelles pour les mois à venir. Je n'insisterai pas plus avant sur ce bilan, qui traduit une très forte mobilisation des administrations de l'Etat. Tous les documents sur l'état d'avancement sont rendus publics, notamment sur le site internet du Gouvernement. Nous avons également fait une nouvelle fois un point sur l'état de préparation de notre pays, à cet enjeu essentiel que constitue le passage à l'an 2000 des systèmes électroniques. J'avais évoqué déjà l'importance de ce sujet devant vous, à l'issue du précédent comité interministériel, en janvier 1998. Depuis l'automne 1997, le Gouvernement a engagé des actions de sensibilisation nombreuses, et pris des mesures, dont Dominique STRAUSS-KAHN, avec Marylise LEBRANCHU et Christian PIERRET ont donné, en novembre, les nouvelles grandes orientations. J'installerai d'ailleurs le 3 février le comité national pour le passage à l'an 2000, présidé par Dominique STRAUSS-KAHN, qui doit permettre une mobilisation collective accrue, pour que, tous ensembles, nous franchissions avec succès cette échéance. B - Le programme d'action gouvernemental entre désormais dans une deuxième phase, qui doit se déployer sur les deux prochaines années. Nous avons retenu quatre axes prioritaires : - les enjeux juridiques, - la culture, - l'administration électronique, - les enjeux sociaux et territoriaux. 1 - Les enjeux juridiques, d'abord. Avec la généralisation progressive de l'usage des technologies et des réseaux d'information, les conditions de garantie de la protection de la vie privée et de la sécurité des transactions deviennent déterminantes. Elles supposent, comme l'a souligné le récent rapport du Conseil d'État, une adaptation de notre droit. Le Gouvernement a donc décidé de présenter au Parlement un ensemble de propositions relatives au document numérique et à la signature électronique (a), à la protection des données personnelles (b) ainsi qu'à la cryptologie (c). (a) Le Gouvernement souhaite d'abord engager une modification rapide de notre cadre législatif, conforme aux orientations retenues au sein de l'Union européenne, qui permette d'assurer, avec toutes les garanties nécessaires, la valeur probante du document sous forme numérique et des signatures électroniques. Les obstacles juridiques qui demeurent au développement des transactions dématérialisées seront ainsi levés. (b) Nous avons ensuite défini les principes de la transposition de la directive communautaire de 1995 relative aux données à caractère personnel. Les orientations que le Gouvernement proposera viseront à maintenir le niveau élevé de protection des données personnelles actuellement garanti aux citoyens français. Elles devront notamment conduire au renforcement des moyens de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), qui vient d'être renouvellée, et de son pouvoir de contrôle. Et je voudrais rendre ici hommage au travail considérable accompli par le Président Jacques FAUVET au cours de ses trois mandats à la tête de la CNIL. (c ) Le troisième chantier législatif concerne la cryptologie. Alors que se développent les moyens d'espionnage électronique, la cryptologie apparaît comme un moyen essentiel pour protéger la confidentialité des échanges et la protection de la vie privée. Nous avions, il y a un an, franchi un premier pas vers la libéralisation des moyens de cryptologie. J'avais annoncé alors que nous en franchirions un autre ultérieurement. Le Gouvernement a, depuis, entendu les acteurs, interrogé les experts et consulté ses partenaires internationaux. Nous avons aujourd'hui acquis la conviction que la législation de 1996 n'est plus adaptée. En effet, elle restreint fortement l'usage de la cryptologie en France, sans d'ailleurs permettre pour autant aux pouvoirs publics de lutter efficacement contre des agissements criminels dont le chiffrement pourrait faciliter la dissimulation. Pour changer l'orientation de notre législation, le Gouvernement a donc retenu les orientations suivantes dont je me suis entretenu avec le Président de la République : - offrir une liberté complète dans l'utilisation de la cryptologie ; - supprimer le caractère obligatoire du recours au tiers de confiance pour le dépôt des clefs de chiffrement ; - compléter le dispositif juridique actuel par l'instauration d'obligations, assorties de sanctions pénales, concernant la remise aux autorités judiciaires, lorsque celles-ci la demandent, de la transcription en clair des documents chiffrés. De même, les capacités techniques des pouvoirs publics seront significativement renforcées. Changer la loi prendra plusieurs mois. Le Gouvernement a voulu que les principales entraves qui pèsent sur les citoyens pour protéger la confidentialité de leurs échanges et sur le développement du commerce électronique soient levées sans attendre. Ainsi, dans l'attente des modifications législatives annoncées, le Gouvernement a décidé de relever le seuil de la cryptologie dont l'utilisation est libre, de 40 bits à 128 bits, niveau considéré par les experts comme assurant durablement une très grande sécurité. 2 - Notre seconde priorité est la culture. Renforcer la présence internationale de la France sur l'internet suppose en effet un fort développement du secteur de la création des contenus et des services qui doit être soutenu, et par une large diffusion des oeuvres de notre patrimoine culturel. L'action en faveur des usages culturels de l'internet et du multimédia participe de la démocratisation du réseau, en combattant les phénomènes d'exclusion de la société de l'information. Le Gouvernement a adopté un ensemble de propositions issues du rapport que m'a remis le Député Patrick BLOCHE en décembre. J'en citerai simplement quelques-unes, Catherine TRAUTMANN pourra vous en dire plus : le renforcement des dispositifs d'aide aux éditeurs et aux créateurs ; dans les programmes de numérisation, la priorité ira vers les besoins du grand public et à la mise en ligne gratuites de données culturelles essentielles. Un portail d'accès sur l'internet, ouvert aux associations culturelles partenaires des pouvoirs publics, valorisera ces contenus ; Le Gouvernement a voulu également répondre à une forte demande des acteurs sur la question des droits d'auteur. Ainsi, sera mise en place une concertation pour favoriser le rapprochement des parties sur la question des droits d'auteur et du multimédia. De plus, la création d'un Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique a été décidée. Le rapport de Patrick BLOCHE comprend beaucoup de propositions qui intéressent le secteur associatif et artistique, très actif sur l'internet. Nous avons donc décidé de soumettre le rapport à un débat public, notamment par l'internet, d'où pourront sortir ultérieurement d'autres décisions. 3 - Le chantier de l'administration électronique constitue un des leviers essentiels de la réforme de l'État. Les projets ministériels seront poursuivis. Un accompagnement budgétaire spécifique sera mis en place, qui devra trouver une traduction dans la loi de finances de l'an 2000. Des projets interministériels structurants seront lancés en 1999, parmi lesquels : - le déploiement opérationnel de l'intranet inter-administrations, dont l'étude est lancée, débutera à l'automne 1999 ; - la mise en réseau des services déconcentrés de l'État, qui sera généralisée sur l'ensemble du territoire en deux ans ; - une vaste opération de formation aux nouveaux métiers du multimédia, pour pallier les pénuries de compétences humaines spécialisées. Elle vise à former en deux ans 5000 nouveaux spécialistes au sein de l'Etat. Pour accélérer la réalisation de ces projets, le Gouvernement a décidé pour 1999 un doublement des moyens interministériels consacrés à la modernisation technologique de l'État, qui seront portés à 130 millions de francs. La diffusion gratuite des données publiques essentielles par l'internet fera des progrès significatifs, avec la mise en ligne gratuite des annonces des marchés publics en 1999. Il s'agit là d'un enjeu très important de transparence et d'égalité des chances pour nos petites et moyennes entreprises. Une bibliothèque numérique des rapports publics, diffusés gratuitement et dans leur totalité, verra également le jour dans les mois à venir. 4 - Notre quatrième priorité, les enjeux sociaux et territoriaux, revêt à mes yeux une importance particulière, parce qu'une société de l'information solidaire n'a de sens que si elle permet l'accès de tous aux technologies et aux réseaux d'information. En dépit de la baisse du coût des matériels et des communications et d'une croissance rapide du taux d'équipement, l'inégalité sociologique et géographique dans l'accès aux réseaux d'information demeure une réalité. Les mesures destinées à favoriser l'accès du public aux réseaux d'information dans les services publics seront renforcées. Le Gouvernement a ainsi décidé de généraliser l'accès gratuit à l'internet pour les demandeurs d'emplois dans les 800 agences de l'ANPE. Les enjeux sociaux des nouvelles technologies doivent être mieux anticipés et mesurés. La société de l'information crée de nouveaux emplois, de nouveaux métiers. Elle change aussi la manière de travailler. Le Gouvernement a donc décidé de mettre en place un réseau d'expertise et d'observation pour mesurer les effets de la société de l'information sur l'emploi et l'évolution du travail et des compétences. Il associera les partenaires sociaux et les professionnels et sera placé auprès du Commissariat général du Plan. Il devra agréger toutes les données statistiques nécessaires pour éclairer régulièrement le Gouvernement et les acteurs sur l'évolution de l'emploi et des qualifications dans la société de l'information. L'enjeu territorial est déterminant. Le Gouvernement veut souligner le rôle important des collectivités locales dans le développement de la société de l'information en France. Elles se mobilisent pour encourager l'essor des nouveaux services et améliorer l'équipement des services publics, en particulier des écoles. Mais leur rôle peut aussi concerner la mise en place de réseaux de communication à haut débit. L'émergence de nouveaux réseaux concourt au développement des télé-activités, à l'enrichissement des offres, à la compétitivité des territoires et à l'emploi. Les collectivités locales doivent donc pouvoir, en cas de carence des acteurs du marché, installer des infrastructures modernes et les mettre à la disposition des opérateurs de télécommunications. Mais elles n'ont pas vocation à devenir elles-mêmes des opérateurs de réseaux de télécommunication ouverts au public. Elles doivent respecter les règles du droit de la concurrence, en évitant toute discrimination entre les opérateurs, ce qui suppose une tarification transparente et assises sur les coûts. Le Gouvernement entend étudier rapidement les éventuelles modifications à apporter aux textes en vigueur afin de donner la meilleure sécurité juridique aux acteurs concernés. Il présentera ses conclusions prochainement. Le Gouvernement est sensible aux inquiétudes d'un certain nombre d'internautes qui craignent que le coût d'accès par le réseau téléphonique ne freine le développement de l'internet en France. Il convient de veiller à concilier la baisse des prix, souhaitable, et le respect de la concurrence, nécessaire pour préserver la liberté de choix des consommateurs. Le Gouvernement a saisi il y a un mois l'autorité de régulation des télécommunications en ce sens. Il se félicite que celle-ci organise dès la fin du mois de janvier une large concertation avec les opérateurs, les fournisseurs d'accès et les associations, afin de trouver une solution dans l'intérêt de tous. J'attends que cette concertation permette d'aboutir prochainement à des nouvelles propositions tarifaires plus favorables aux internautes. Voilà, présentées dans les grandes lignes, les nombreuses décisions que le Gouvernement a prises aujourd'hui. Ses quatre priorités, vous le comprenez, représentent un programme de travail considérable. D'autres rendez-vous ponctueront cette année. Parmi eux, je citerai pour le premier trimestre : - les assises du commerce électronique le 4 février, organisées par Dominique STRAUSS-KAHN ; - et la Fête de l'internet, qui se déroulera du 19 au 21 mars et à laquelle le Gouvernement a apporté son soutien dès l'origine. A la suite d'une proposition que nous avons faite à la Commission européenne, la Fête s'étendra d'ailleurs cette année à l'Europe. A la suite d'une lettre de Catherine TRAUTMANN au Président Jacques SANTER. Mesdames et messieurs, la France est désormais résolument engagée dans la société de l'information. Notre pays dispose de nombreux atouts pour réussir définitivement son passage à cette forme de modernité. En 16 mois, beaucoup a déjà été fait ou entrepris en ce sens. Comme vous pouvez le constater, le Gouvernement continue à y travailler activement.